Je copie ici l´intégralité d´un petit article (pour ceux que ca interesse) sur les doutes quant à la drépanocytose éventuelle de Toutankhamon. Je trouve ca tellement dommage que l´on ne puisse pas avoir facilement accès à l´ADN de la momie, on a besoin que de tres peu d´ADN pour savoir rapidement et à tres peu de frais si le pharaon etait ou non drepanocytaire (il s´agit juste de realiser une PCR sur le gène de la bêta-globine, reaction quotidienne dans tout laboratoire, partout dans le monde). Ca prendrait moins de temps et d´energie que d´ecrire des tas d´hypotheses sur le sujet !!
Toutankhamon et sicklanémie
J.-F. Pays
Reçu le 7 septembre 2010 ; accepté le 29 septembre 2010
© Société de pathologie exotique et Springer-Verlag France 2010
Bull. Soc. Pathol. Exot. 103 (2010).
Résumé : Après avoir mis en doute la responsabilité du paludisme dans la mort de Toutankhamon, l’auteur fait remarquer que l’hypothèse d’une drépanocytose homozygote, ou d’une double hétérozygotie HbS/β0thal, n’est guère plus crédible. Pour avoir une chance d’être valide, une telle hypothèse devrait faire appel en effet au cumul d’au moins trois raretés : la survie jusqu’à l’âge de 19 ans d’un drépanocytaire homozygote né avec une espérance de vie au-delà de cinq ans probablement inférieure à 5 %, avec, pour toutes séquelles et anomalies osseuses, une ostéonécrose caractéristique, par sa localisation, non pas d’une drépanocytose, mais d’une maladie de Freiberg-Köhler, affection elle aussi rare, mais, par contre, totalement compatible avec l’état du squelette de la momie.
Dès la publication de Hawass et al., Ancestry and Pathology
in King Tutankhamun’s family [3], nous avions fait part de
nos doutes quant à la responsabilité du paludisme dans la
mort de Toutankhamon, du moins telle qu’elle était présen-
tée par les auteurs, en liaison avec on ne sait quel état immu-
nodépressif ou débilitant secondaire à une maladie de
Freiberg-Köhler ou à une fracture de jambe [6]. Quelques
mois plus tard, Timmann et Meyer [7] arrivaient aux
mêmes conclusions sans prendre en compte, toutefois, la
possibilité d’un accès pernicieux classique toujours possible
chez un adulte jeune, dans le cadre d’un paludisme instable à
transmission saisonnière.
Ils ont également émis l’hypothèse qu’une drépanocytose
homozygote (sicklanémie), ou qu’une double hétérozygotie
HbS/β0thal, pouvait être à l’origine de l’ostéonécrose de la
tête des second et troisième métatarsiens du pied gauche de
la momie, considérée par Hawass et al. [3] comme due à une
maladie de Frieiberg-Köhler. Il n’en a pas fallu davantage
pour que les médias amplifient l’information comme s’il
s’agissait d’un fait avéré et prouvé, de la même manière
qu’ils l’avaient fait pour le paludisme, et que les tenants
d’une Égypte « nègre », mère de tous les savoirs du monde
méditerranéen, ne s’en servent pour conforter leur idéologie.
Nous ne souscrivons pas à l’idée que Touthankamon
était atteint de sicklanémie ou de double hétérozygotie
HbS/β0thal pour les raisons suivantes :
• le nombre de drépanocytaires homozygotes atteignant
sans traitement l’âge de la puberté dans les conditions de
vie et d’hygiène similaires à celles qu’a connues Toutan-
khamon est très faible (95 % de mortalité avant cinq ans
[5]), même si certains facteurs (haplotype de restriction et
taux d’hémoglobine F, microsatellites, séquences régula-
trices en trans…) peuvent intervenir pour atténuer la
gravité de la maladie dans des proportions limitées. Le
pronostic des doubles hétérozygoties HbS/β0thal n’est
pas meilleur ;• en dehors de l’ostéonécrose de la tête des second et troi-
sième métatarsiens du pied gauche, on ne retrouve, chez
Toutankhamon, aucune autre séquelle d’infarctus osseux,
notamment au niveau des vertèbres ainsi que de la tête ou
du col du fémur ;
• on ne trouve pas non plus d’hyperostose ostéoporotique,
ni de signe d’hyperplasie médullaire, comme l’élargis-
sement du diploé, classiques dans la drépanocytose
homozygote ;
• la localisation de l’atteinte osseuse qui fait débat n’est pas
habituelle chez les sicklanémiques, en dehors de la
séquelle peu vraisemblable d’un syndrome main–pied
survenue dans la petite enfance ;
• la localisation de cette atteinte, associée à l’élargissement
de l’interligne articulaire [3], est par contre caractéristique
de la maladie de Freiberg-Köhler, une ostéochondrose
d’étiologie inconnue, touchant surtout les filles ayant un
pied grec, c’est-à-dire un pied dont le second doigt est
plus long que tous les autres. Nous sommes, bien entendu,
dans le cas de Toutankhamon, garçon — sans jeu de
mots — aux pieds égyptiens, à l’opposé de ce profil.
Un des arguments invoqué pour conforter l’hypothèse de
la sicklanémie de Toutankhamon serait, selon ses auteurs,
une prévalence relativement élevée (9–19 %) de porteurs
du trait HbS dans les oasis de l’Égypte moderne, mais rien
ne permet de dire que cette prévalence soit un reflet de celle
qui existait dans la région de Thèbes, il y a 3 500 ans. En
effet, la prévalence de la drépanocytose chez les Égyptiens
du XXIe siècle est liée à l’importation massive d’esclaves en
provenance de l’Afrique sub-saharienne à partir du VIIe siècle
après Jésus-Christ, suite à la conquête arabomusulmane,
tandis que celle de l’Égypte ancienne était due aux contacts
permanents (expéditions, mercenaires, prisonniers de guerre,
concubines, immigration) entretenus à cette époque par
l’Égypte avec la Nubie (Ouatouat et Koush). La reine Tiyi,
grand-mère de Toutankhamon, selon la filiation, discutable
et discutée, proposée par Hawass et al. [3], était probable-
ment originaire de Nubie, et les incestes entre frères et sœurs,
père et filles, étaient courantes chez les souverains et les
princes de la XVIIIe dynastie.
Outre celles concernant la responsabilité du paludisme
dans la mort de Toutankhamon et la filiation du jeune
pharaon, d’autres critiques ont été formulées concernant les
conclusions de l’article Ancestry and Pathology in King
Tutankhamun’s Family [3].
Elles portent notamment sur la validité des résultats des
examens pratiqués sur l’ADN des différentes momies [4],
sur la réalité du pied bot varus équin gauche de Toutankha-
mon [2] et sur l’identité de la momie KV55 [1] considérée,
sans preuve formelle, comme étant celle d’Aménophis
III-Akhénaton, mais que d’autres égyptologues considèrent
comme étant plus vraisemblablement celle de Smenkharé,
probable demi-frère, corégent, puis successeur d’Akhénaton.
Toutankhamon, en effet, n’est pas le successeur immédiat
d’Aménophis III comme on le pense habituellement.
Le roman scientifique de la momie du jeune roi est donc
loin d’être clos. Bien entendu, l’hypothèse dont nous venons
de débattre pourrait être assez facilement validée ou invali-
dée par des techniques de biologie moléculaire portant sur le
gène de la β-globine, mais rien n’a été publié sur ce sujet et
très peu de scientifiques ont accès à l’ADN du pharaon,
chasse gardée et presque secret d’État.
On ne peut que se réjouir de l’engouement du public et
des paléopathologistes pour les énigmes posées par la mort
prématurée et la momie de Toutankhamon, à condition qu’il
ne donne pas naissance à une égyptologie de pacotille où la
recherche du scoop primerait à tout coup sur la rigueur, et le
phantasme, sur la réalité des faits.
Références
1. Baker BJ (2010) King Tutankhamun’s family and demise. JAMA
303(24):2471–2
2. Gamble JG (2010) King Tutankhamun’s family and demise.
JAMA 303(7):2472
3. Hawass Z, Gad YZ, Ismail S, et al (2010) Ancestry and pathology
in King Tutankhamun’s family. JAMA 303(7):638–47
4. Lorenzen ED, Willerslev E (2010) King Tutankhamun’s family
and demise. JAMA 303(24):2471
5. Molineaux L, Fleming AF, Cornille-Brøgger R, et al (1979)
Abnormal haemoglobins in the Sudan savanna of Nigeria. III.
Malaria, immunoglobulins and antimalarial antibodies in sickle
cell disease. Ann Trop Med Parasitol 73(4):301–10
6. Pays JF (2010) Plasmodium falciparum « toutankhamonensis ».
Bull Soc Pathol Exot 103(2):65–8
7. Timmann C, Meyer CG (2010) King Tutankhamun’s family and
demise. JAMA 303(24):2473